SFE2 2024
Du 21/10/2024 au 25/10/2024
Centre de Congrès de Lyon - 50, quai Charles de Gaulle 69006 Lyon
Réunis en congrès les écologues s’inquiètent des reculs qui nous éloignent d’un monde vivable
(Congrès SFE² Lyon 21-25 Octobre 2024)Septembre 2024 : la science nous annonce qu’une septième des neuf limites planétaires cruciales à la viabilité de la Terre vient d’être dépassée. Le dépassement du niveau acceptable d’acidification des océans vient rejoindre celui des limites climatiques et de la dégradation de la biodiversité. Ce qui était une inquiétude pour celles et ceux dont le métier était d’ausculter les processus planétaires, est devenu une réalité qui s’aggrave chaque jour. C’est également en Septembre 2024 qu’une enquête1 internationale de l’Alliance sur les Communs Planétaires révèle que, quels que soient les pays, une vaste majorité de citoyennes et citoyens de toutes conditions a une conscience aigüe des enjeux environnementaux actuels et demande que les actions en vue de maintenir l’habitabilité de la Terre pour tous prennent le pas sur les impératifs de l’économie de marché. Ce constat fait écho, presque point par point, aux baromètres publiés par l’ADEME en février 2024 montrant que plus de 70% des français et des françaises attendaient des changements plus structurants pour répondre à l’enjeu climatique. Ils/elles souhaitent des politiques publiques qui favorisent les activités économiques qui protègent l’environnement, pénalisent celles qui lui sont néfastes et privilégient la protection de l’environnement à la croissance économique 2.
Ces enquêtes soulignent les contradictions profondes qui se dessinent entre les acteurs qui dominent la politique et l’économie et des opinions publiques qui demandent une transformation urgente et profonde du fonctionnement économique, social et politique de nos sociétés, mais se trouvent face à des offres politiques contradictoires. Elles posent aussi la question de l’acceptabilité de la réponse politique qui devra être centrée sur des principes d’équité sociale et environnementale.
La volonté d’engagement citoyen que ces enquêtes révèlent exigerait une implication et une écoute sans faille des pouvoirs publics et des acteurs économiques. Elle devrait s’appuyer sur les connaissances accumulées par la recherche scientifique pour définir, avec l’ensemble de la société, les actions nécessaires à un futur désirable qui garantisse le bien vivre à tous dans une société où l’impératif de justice environnementale et sociale prend le pas sur ceux du marché et de son impératif de croissance économique. Une société conforme avec la convention de Arrhus qui définit le droit fondamental de toute personne à la justice environnementale et à vivre dans un environnement sain3 tout comme l'a rappelé une récente décision du Conseil Constitutionnel s'appuyant sur la Charte de l'Environnement4.
Loin d’être punitive, comme tentent à la définir certains discours, cette transformation écologique de la société est par nature orientée vers plus de « pouvoir de vivre » et libérée des punitions que nous inflige, et nous infligera de plus en plus, la soumission aux impératifs de la production et de l’accumulation. Ces impératifs bénéficient à une minorité, mais réservent une punition toujours plus sévère à la majorité.
Aujourd’hui les faits confirment les prédictions les plus alarmistes que la science a répétées depuis plus d’un demi-siècle. Mais, une fois de plus, en tant qu'écologues, en lieu et place d’avancées, ce sont de nouveaux reculs que nous observons. Ils répondent aux résistances farouches de ceux que menacent les changements qui permettraient de préserver une planète vivable pour tous. Les récents reculs de nos gouvernements par rapport aux trop modestes avancées faites vers une agriculture plus durable en sont un exemple parmi d’autres, sans que ces reculs assurent un revenu décent à ceux qui nous nourrissent. Ils viennent s’ajouter à une longue liste de détricotages poussés par des minorités sectorielles, une histoire déjà lourde de
démissions des autorités au détriment de la santé publique. Le scandale de l’amiante n’est qu’une tragique illustration parmi d’autres de décisions prises au mépris d’une connaissance clairement établie de longue date. Même les éléments les plus prometteurs de changements comme la production d’électricité photovoltaïque se trouvent pervertis pour aboutir à une destruction de milieux naturels ou un accaparement de terres agricoles au profit d’installations industrielles en lieu et place d’équipement des toitures, friches industrielles et autres sites artificialisés, le tout au mépris des recommandations pourtant officielles de l’ADEME5 qui les estime largement suffisants pour répondre aux ambitions annoncées.
Le monde politique est-il capable de comprendre, ou d’accepter la nécessité d’implémenter des changements profonds dans les modes de production, de consommation et de réduction des inégalités ? De petits ajustement législatifs ou de la surface d'aires protégées ne sont plus, depuis longtemps, des mesures à la hauteur de l’enjeu qui concerne aujourd’hui l’habitabilité d’une large partie de la planète si la trajectoire actuelle est maintenue.
Si dans la seconde moitié du XXième siècle le manque de culture en science et en écologie scientifique pouvait parfois expliquer des orientations néfastes, l’accumulation actuelle des connaissances et leur disponibilité sur la place publique, l’implication incontournable des acteurs politiques dans les conventions sur le climat et la biodiversité, font que l’ignorance ne peut plus être une excuse crédible et que l’inaction est coupable. L’implication de plus en plus forte des scientifiques dans le débat et l’action citoyenne devrait également interpeller un monde politique qui tend à la balayer par le qualificatif inacceptable d’écoterrorisme.
Réunis en congrès les chercheuses et chercheurs en écologie et en évolution estiment de leur devoir de rappeler à ceux qui pèsent sur les orientations de nos sociétés leur entière responsabilité dans l’avenir qui se dessine, d’en prendre la mesure et d’agir en conséquence. Contrairement à ce qui a été prétendu, à tort, pour l’économie, il y a une alternative à l’impasse actuelle. Et c’est une alternative qui nous libère du piège qui se referme sur nous.
1 https://res.cloudinary.com/dfyeeawiq/images/v1724426386/Global-Commons-Survey-2024-Global/Global-Commons-Survey-2024-Global.pdf?_i=AA
2 https://infos.ademe.fr/lettre-strategie/climat-les-francais-attendent-une-plus-grande-implication-de-letat/
3 https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/environnement-droit-international-droits-fondamentaux
4 https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2022-843-dc-du-12-aout-2022-communique-de-presse
5 ADEME, Transénergie. Mars 2019. Évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l’implantation de centrales photovoltaïques – Synthèse https://librairie.ademe.fr/energies-renouvelables-reseaux-et-stockage/846-evaluation-du-gisement-relatif-aux-zones-delaissees-et-artificialisees-propices-a-l-implantation-de-centrales-photovoltaiques.html
Pour une politique d’adaptation des forêts hexagonales au changement climatique basée sur l’écologie forestière
(Congrès SFE² Lyon 21-25 Octobre 2024)Au-delà de la provision de produits forestiers, les forêts abritent une part importante de la biodiversité, assurent la protection des sols, le filtrage de l’air et de l’eau, ou encore la séquestration de carbone [1]. Comme tous les écosystèmes sur Terre, les forêts françaises sont soumises aux stress engendrés par le changement climatique [1]. Les sécheresses, les vagues de chaleurs de plus en plus fréquentes et intenses, les attaques de ravageurs comme les scolytes, ou l’augmentation du risque d’incendie altèrent fortement la santé des arbres, accentuent gravement leur taux de mortalité [2] et fragilisent leur fonctionnement en tant qu’écosystèmes. La capacité à stocker du carbone des forêts hexagonales a ainsi diminué de près de moitié en dix ans [3], réduisant fortement leur rôle dans l’atténuation du changement climatique.
Permettre à nos forêts et à nos pratiques forestières de s’adapter aux modifications du climat est donc devenu un défi majeur. Dans ce contexte de forts changements et de grandes incertitudes, il semble essentiel de privilégier des pratiques bien établies ayant pour objectif de garantir le maintien d’un état boisé, et donc du stock de carbone, de limiter les perturbations de l’écosystème, tout en assurant les apports économiques de la forêt par des prélèvements ciblant préférentiellement les individus les plus affectés. Ces pratiques existent, comme par exemple le traitement par Sylviculture Mélangée à Couvert Continu, c’est-à-dire une sylviculture basée sur les dynamiques naturelles des écosystèmes forestiers, ou l’enrichissement des peuplements en dépérissement lorsque cela est nécessaire, ou, plus généralement, la diversification des espèces et des structures en forêt. Ces approches pourraient être complétées par une augmentation de la proportion de forêts en libre évolution, sans intervention majeure, constituant autant d’expériences où s’exprimerait la capacité de nos forêts à s’adapter aux changements à venir par sélection d’individus résistants grâce à la variabilité génétique présente dans les populations autochtones. Ces pratiques sont de plus conformes aux recommandations du « Green Deal » européen [4] et de la nouvelle stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 qui vise à « renforcer la protection et la restauration des forêts par une gestion prudente favorisant son rôle multifonctionnel et ses capacités d'adaptation ».
Pourtant, la politique forestière française semble privilégier une approche très interventionniste prônant le remplacement de peuplements jugés inadaptés aux conditions futures par des espèces estimées plus résistantes et résilientes [5]. Cela se traduit essentiellement par des injonctions à réduire le temps entre les coupes, à procéder à des coupes rases de peuplements considérés comme sans avenir, suivies par des plantations. L’étendard de cette politique est un ambitieux programme de plantation d’un milliard d’arbres en 10 ans [6]. Ces plantations massives se font majoritairement sous forme de peuplements monospécifiques d’espèces parfois exotiques, jugés moins onéreux et mieux adaptées aux demandes des marchés. L’efficacité de ces pratiques en termes de bilan de carbone, de garantie d’une forêt viable ou de la fourniture de produits-bois dans les prochaines décennies, pose question. De nombreuses études montrent que ces pratiques sont plutôt néfastes pour le futur des forêts. Le bilan carbone des coupes rases est très négatif à court terme, et peut mettre des décennies à s’équilibrer [7]. Quant aux plantations, leur succès est incertain du fait des incertitudes des conditions estivales, en particulier les sécheresses et les canicules. En 2022, les plantations réalisées en France ont essuyé un taux d’échec moyen de près de 40%, c’est-à-dire le plus haut taux d’échec documenté jusque-là [8]. La généralisation de cette approche radicale de remplacement de forêts, et notamment de peuplements feuillus diversifiés en espèces et en structures, par des plantations monospécifiques, voire composées d’espèces exotiques, homogénéise la composition et la structure d’âge des boisements. Elle appauvrit sévèrement leur biodiversité et leur fonctionnement en tant qu’écosystèmes [9], comme illustré par l’accumulation d’études montrant que ces peuplements sont plus sensibles aux perturbations et aléas climatiques que les peuplements diversifiés [10, 11]. Les déconvenues qui ont suivi la mise en oeuvre de telles approches dans le passé, et les menaces qu’elles feraient peser dans le futur si elles se généralisaient devraient nous alerter.
A ce jour, les alertes lancées par les scientifiques sur les risques liés aux approches très interventionnistes ou pour proposer des alternatives plus respectueuses de nos forêts [12-14] sont restées lettre morte dans un contexte où, de surcroit, les effectifs des forestiers en France, aussi bien en forêt publique qu’en forêt privée sont en forte baisse depuis des décennies. Face à la nécessité d’une adaptation des forêts hexagonales etde leur richesse aux conditions futures, les écologues réunis à Lyon par la Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE²) insistent sur la nécessité d’une politique forestière d’adaptation qui s’appuie sur la préservation de la capacité des écosystèmes forestiers dans leur diversité à répondre aux perturbations, et non pas sur des interventions massives relevant de paris sur l’avenir aussi fragiles scientifiquement que risqués pour la biodiversité et le climat. Cette nécessité s’accompagne inévitablement du besoin de pérenniser le savoir-faire sylvicole français et donc d’augmenter les effectifs des forestiers oeuvrant pour le futur de nos forêts.
References
[1] FAO and UNEP. (2020). The State of the World’s Forests 2020. In The State of the World’s Forests 2020 - Forests, biodiversity and people. doi: 10.4060/ca8642en
[2] IGN. (2023). MÉMENTO 2023.
[3] Citepa. (2022). Rapport Secten édition 2022.
[4] European Commission: Directorate-General for Research and Innovation, European Green Deal – Research & innovation call, Publications Office of the European Union, 2021, https://data.europa.eu/doi/10.2777/33415
[5] https://www.info.gouv.fr/politiques-prioritaires/planifier-et-accelerer-la-transition-ecologique/accompagner-le-programme-visant-a-planter-1-milliard-darbres-dici-2032
[6] https://agriculture.gouv.fr/changement-climatique-aider-la-foret-en-replantant-des-especes-plus-resistantes
[7] Aguilos, M., Takagi, K., Liang, N., Ueyama, M., Fukuzawa, K., Nomura, M., … Sasa, K. (2014). Dynamics of ecosystem carbon balance recovering from a clear-cutting in a cool-temperate forest. Agricultural and Forest Meteorology, 197, 26–39. doi: 10.1016/J.AGRFORMET.2014.06.002
[8] Département de la santé des forêts. (2022). Plantations forestières 2022, la plus mauvaise année ! Retrieved from https://agriculture.gouv.fr/plantations-forestieres-2022-la-plus-mauvaise-annee
[9] Landmann, G., Delay, M., Marquet, G. (2023). Expertise collective CRREF « Coupes Rases et Renouvellement des peuplements Forestiers en contexte de changement climatique ».
[10] Ammer, C. (2019). Diversity and forest productivity in a changing climate. New Phytologist, 221(1), 50–66
[11] Jactel, H., Moreira, X., Castagneyrol, C. (2021). Tree diversity and forest resistance to insect pests: patterns, mechanisms, and prospects. Annual Review of Entomology 66 (1), 277-296
[12]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/19/il-est-important-d-encourager-une-plus-grande-diversification-d-arbres-dans-les-forets-francaises_6052802_3232.html
[13]https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/21/climat-un-effort-massif-d-extension-des-surfaces-boisees-doit-etre-accompli_6103023_3232.html
[14]https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/25/biodiversite-la-politique-forestiere-doit-s-appuyer-sur-les-ecosystemes-existants-plutot-que-raser-et-replanter_6196357_3232.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=ios&lmd_source=default
En limitant la protection des loups, l’Europe fait fausse route et contredit ses propres expertises !
(Congrès SFE² Lyon 21-25 Octobre 2024)En 2023 la commission Européenne a commandité une analyse approfondie des connaissances scientifiques et techniques sur le retour des loups en Europe 1.
Cette analyse estime le nombre de loups en Europe à environ 20 000 individus, nombre qui tend encore à augmenter. Malgré cela, sur les 39 entités de conservations définies, le statut de conservation de l’espèce dans plus de la moitié d’entre elles, dont les entités alpines, restait, avec moins de 1000 individus reproducteurs, défavorable voir vulnérable.
La destruction par les tirs légaux et les collisions sont les principales causes de mortalité des loups dans les analyses portant sur les loups trouvés morts en Europe. Dans les analyses de données sur des loups équipés de colliers émetteurs le braconnage apparait comme une importante, voire la plus importante cause de mortalité, y compris dans des pays où la chasse ou les tirs dérogatoires sont autorisés.
L’étude de la commission identifie et souligne le rôle important joué par les loups dans les écosystèmes. Même si des cascades trophiques de l’ampleur de celles qui ont été décrites en Amérique du Nord n’ont pas encore pu être identifiées en Europe, les travaux européens ont déjà pu mettre en évidence des effets de la présence des loups sur les populations d’ongulés sauvages. Ils en réduisent les impacts négatifs sur la forêt ou l’agriculture, le nombre de collisions avec le grand gibier ou la prévalence dans la faune sauvage de maladies transmissibles au bétail domestique comme la tuberculose ou la peste porcine.
Bien que les loups se nourrissent essentiellement d’ongulés sauvages, leur incidence sur la chasse sportive reste négligeable. Leurs prélèvements sont de loin très inférieurs à ceux de la chasse et concernent le plus souvent des individus de moindre valeur reproductive.
La prédation des loups sur le bétail domestique reste sans conteste l’élément le plus négatif et la principale source de conflit engendré par leur présence. Plus de 65 000 bêtes en sont victimes en Europe par an, essentiellement des ovins, dont les loups prélèvent 0.06% d’un cheptel estimé à 60 millions de têtes, mais aussi des caprins, et, dans une proportion moindre mais non négligeable, des bovins. Les principaux dommages se concentrent en Italie, en France et en Espagne. Si à large échelle les dégâts causés par les loups à l’élevage pourraient être considérés comme minimes, leur impact local peut être significatif et, à l’échelle d’une exploitation, souvent dramatique.
Si les déprédations sur le cheptel domestique ont augmenté avec l’augmentation du nombre de loups, la fréquence des attaques ou la proportion d’attaques réussies sur le bétail domestique a significativement décrue (Allemagne) ou s’est stabilisée malgré la poursuite de l’augmentation du nombre de loups (France), une tendance attribuée à une mise en oeuvre de plus en plus efficace des mesures de protection des troupeaux. L’application de mesures de protection effectives et adaptées au contexte local reste le moyen le plus efficace de limiter la déprédation par les loups. De nombreux travaux décrivent les méthodes disponibles et leur mise en oeuvre, souvent dans le cadre de projets LIFE financés par l’Europe. Ils soulignent la nécessité de tenir compte dans leur mise en oeuvre du contexte local de chaque exploitation et l’importance d’un soutien et d’une expertise apportés en anticipation plutôt que de manière curative. Malgré l’efficacité de ces mesures la présence des loups reste un important défi pour les éleveurs.
Les travaux nord-américains sur l’efficacité des tirs létaux ont montré qu’ils ne diminuaient les dommages au cheptel que s’ils étaient suffisamment intenses pour réduire fortement la population de loups. En France, l’analyse de l’efficacité des tirs de défense a montré l’absence de réponse systémique à moyen terme sur la fréquence des attaques.
Malgré les problèmes posés à l’élevage la vaste majorité des populations Européennes, que ce soit en zone rurale ou en zone urbaine, et quel que soit le pays, continue à exprimer un soutien très majoritaire au maintien d’une protection stricte de l’espèce.
Que faudrait-il retenir de cette analyse des travaux scientifiques et techniques ? Que le retour des loups devrait s’inscrire dans un contexte plus large incluant leurs apports à la société et leur fonction dans les écosystèmes tout en réduisant au mieux les problèmes qu’ils causent à l’élevage en privilégiant le levier le plus prometteur qui est de renforcer l’efficacité des moyens de protection. C’est le domaine où un investissement dans l’expérimentation et la recherche est le plus susceptible d’être producteur de solutions.
Et pourtant le Mercredi 25 septembre 2024, le Conseil de l'Union Européenne a adopté une proposition de la Commission européenne visant à abaisser le statut de protection du loup dans le cadre de la Convention de Berne. Ce changement, soutenu par la France, considère implicitement l'abattage des loups comme une solution à la prédation du bétail. Il va non seulement à l'encontre de l'engagement de l’Union Européenne à sauvegarder et à restaurer la biodiversité, mais contredit de surcroit les conclusions de l’expertise scientifique et technique commanditée par la même communauté Européenne. Il souligne une contradiction fondamentale entre un discours promouvant des politiques fondées sur la science et des politiques effectives qui s’inscrivent en faux sur ce que nous avons appris, et qui sont définies en réponse à des groupes de pressions ou à des impératifs partisans.
Cette initiative est une régression majeure dans les efforts de conservation en Europe et une erreur d’appréciation des avantages et contraintes engendrés par le retour et le rôle des loups. Elle entérine une démarche qui peut être perçue comme une politique de conflit avec le monde vivant plutôt qu’une politique de conciliation. Elle prend le contrepied de décennies de progrès dans la considération du monde vivant par l’Union Européenne. Elle donne un signal très négatif en faveur d’autres régressions évoquées ici et là, en particulier sur les autres prédateurs.
Alors que la priorité devrait être de prendre toutes les dispositions pour rendre compatible la coexistence des activités humaines avec la présence des grands prédateurs sur un même territoire, cette décision de réduire le statut de protection du loup remet en cause la crédibilité des engagements internationaux de l’Union Européenne en faveur de la biodiversité. Cette décision, en s’éloignant d’une démarche centrée sur la coexistence, est également un déni à l’encontre de tous les éleveurs qui n’ont pas ménagés leurs efforts pour protéger leurs troupeaux depuis des années et dont une valorisation de l’expertise acquise à l’échelle des régions et de l’Europe reste un chantier en attente.
Les écologues rassemblés en Congrès à Lyon par la Société Française d’Ecologie et d’Evolution, et ce au moment où se tient la COP16 sur la biodiversité en Colombie, insistent sur la nécessité d’intégrer nos connaissances dans la définition de nos politiques, connaissances qui identifient les mesures de préventions et de protection comme nos meilleurs outils pour réduire les dégâts à l’élevage, associées à une politique agricole apte à garantir un revenu légitime aux éleveurs pour lesquels le retour des loups est une contrainte dont la société doit partager la charge. Elle demande le maintien du statut de forte protection des loups et, sur la base des connaissances acquises par la recherche, un effort accru sur les mesures d’anticipation et de protection et une limitation des tirs dérogatoires à la stricte défense immédiate des troupeaux.
1file:///C:/Users/martin/Downloads/the%20situation%20of%20the%20wolf%20canis%20lupus%20in%20the%20european-KH0623027ENN-1.pdf Blanco JC and Sundseth K (2023). The situation of the wolf (Canis lupus) in the European Union – An In-depth Analysis. A report of the N2K Group for DG Environment, European Commission